Le renouveau de l’interventionnisme étatique

ou petit glossaire raisonné de l’intervention publique dans la crise du coronavirus

A paraître dans Association Droit et Commerce :
«  Le droit des affaires, instrument de gestion et de sortie de crise
Les entreprises à l’épreuve de la pandémie », Paris, LGDJ, courant 2021

La crise déclenchée par le coronavirus se prête mal à une analyse raisonnée, simplement descriptive, du droit positif. L’évolution constante de l’épidémie, les réponses successives – et parfois contradictoires – qui y sont données par le Gouvernement et le Législateur, les rebondissements incessants des diagnostics scientifiques, tout cela forme un environnement mouvant, rendant rapidement obsolètes les certitudes du moment, voire tout simplement caduques les textes ou solutions jurisprudentielles à peine adoptés.

Dans ces conditions, il a semblé plus pertinent de partager avec le lecteur des termes, des notions juridiques, économiques ou de science administrative, voire des mots courants, afin de le laisser libre d’analyser l’Histoire telle que nous la voyons se faire. Certains de ces mots traduisent des « signaux faibles[1] » que l’on peut identifier dans la sphère juridique et dans le fonctionnement des institutions publiques. Parfois à peine perceptibles, ces signaux sont pourtant annonciateurs de bouleversements profonds. Cet inventaire, que nous espérons peu digne de Prévert et qui est clairement subjectif, est ainsi conçu pour permettre au lecteur de librement identifier des lignes de force. Il devrait l’aider à se mouvoir dans cet univers fluctuant et, armé avant tout de sa raison et de ses convictions personnelles, l’inciter à tenter une prospective de la situation[2].

Coudre (machine à…)

Lors du premier confinement, la technologie « disruptive » par excellence s’est révélée être… la machine à coudre.

Dans la guerre contre le virus, les pouvoirs publics français ont perdu la bataille des masques. Les gouvernements des pays industrialisés se sont battus comme des chiffonniers, parfois contre leurs propres services publics de santé locaux, sur le tarmac des aéroports chinois pour obtenir des cargaisons de masques[3].

Compétition d’autant plus désolante que chaque Gouvernement tentait désespérément de faire pardonner son échec initial à stocker suffisamment de ces précieux équipements, tandis que des spéculateurs accaparaient déjà la production chinoise pour rançonner les acheteurs.

Ainsi, l’ultime appareil de haute technologie pour préparer la sortie du confinement s’est avéré être la… machine à coudre, cette étrange machine que de nombreuses familles du monde occidental ont reçue en cadeau de mariage et qui reste, depuis, le plus souvent dans un fond de placard car rarement utilisée.

La machine à coudre a aidé les gens à fabriquer au niveau local les masques qui sont rapidement devenus obligatoires pour sortir de la période de confinement et qui resteront nécessaires pendant toute l’épidémie[4]. Cependant, la machine à coudre est le symbole de changements plus profonds.

Premièrement, les masques « faits maison » marquent le symbole de l’échec de l’État – pour des raisons nombreuses et variées – à répondre aux besoins de protection de l’hôpital public. C’est donc une marque de l’échec des démarches de planification, de prévision et de décentralisation tentées dans les périodes précédentes. Pourtant, la puissance publique n’est pas absente du regain pour les machines à coudre et de l’autoproduction de masques. En effet, en France, c’est l’AFNOR qui, très rapidement, a compris l’enjeu de la production par les Français eux-mêmes de « masques barrières » ou « masques grand public » en publiant, dès le 27 mars 2020, un cahier des charges pour une « fabrication en série et confection artisanale »[5].

Or l’AFNOR est un organisme au statut original. Créée en 1926, cette association de la loi de 1901 est chargée, en vertu d’un décret du 24 mai 1941 repris pour la dernière fois par le décret n° 2009-697 du 16 juin 2009 relatif à la normalisation, d’exercer pour le compte de l’État la mission de normalisation[6]. Celle-ci est entendue comme « une activité d’intérêt général qui a pour objet de fournir des documents de référence élaborés de manière consensuelle par toutes les parties intéressées, portant sur des règles, des caractéristiques, des recommandations ou des exemples de bonnes pratiques, relatives à des produits, à des services, à des méthodes, à des processus ou à des organisations. ». L’AFNOR est sous la tutelle de l’État et rassemble toutes les parties prenantes. L’usage de ses normes est en théorie libre, même si de nombreux textes normatifs s’appuient sur ces documents pour imposer des obligations. L’AFNOR s’insère par ailleurs dans un système très réglementé d’essai et de certification, par des laboratoires et organismes certificateurs publics mais aussi privés. D’ailleurs, comme souvent en France, la référence par le Gouvernement au cahier des charges relatif aux masques barrières a immédiatement suscité une polémique. De dignes esprits critiques n’ont en effet pas tardé à faire – justement – remarquer que le document publié par l’AFNOR n’avait, juridiquement, pas la qualité de norme. Il n’en demeure pas moins que l’AFNOR, en détenant le monopole de l’exercice de la mission de normalisation en France et pour la France, regroupe tous les éléments constitutifs d’un service public – la mission d’intérêt général, les prérogatives de puissance publique et le contrôle de la collectivité publique.

Deuxièmement, la machine à coudre incarne l’efficacité supérieure des initiatives locales, privées, parfois à but non lucratif (voir par exemple www.montissumasque.fr, http://stop-postillons.fr/ ; https://maskup.fr/). Pour l’instant, même si le commerce international s’est fortement ralenti[7], la grande variété des différentes politiques d’interdiction de voyager, de sortie du confinement, de tests, etc. n’a pas bloqué les chaînes d’approvisionnement et de logistique. Néanmoins, l’ère post-Covid démontrera peut-être la supériorité de la réorganisation locale de l’industrie sur les entreprises multinationales intégrées.

Troisièmement, la machine à coudre représente peut-être le symbole de la supériorité du réseau (voir ce terme plus bas) local sur le réseau mondial. Le réseau mondial de production a été organisé selon la théorie des avantages comparatifs qui repose essentiellement sur une comparaison des coûts relatifs (en particulier les coûts de production, et particulièrement les coûts de main-d’œuvre). Mais ces coûts ne prennent pas en compte les coûts d’opportunité tels que le coût de l’autonomie d’approvisionnement et de la sécurité de la chaîne de transport. Ces derniers seront sûrement à l’avantage des réseaux de production locaux, qui devront néanmoins payer des salaires plus élevés que ceux accordés aux travailleurs des PVD.

Ces tendances auront de nombreuses conséquences : sur les flux du commerce international ; sur l’évaluation de la valeur des marchandises et sur leurs coûts ; et donc sur le niveau de l’inflation.

Quatrièmement, la machine à coudre est le symbole d’une mise en œuvre efficace de « l’économie circulaire ». Cette théorie a souvent été ridiculisée par les décideurs publics et privés avant d’être très récemment consacrée comme une politique publique favorisant la lutte contre le réchauffement climatique (voir la Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire). L’essence du masque « fait maison » repose en effet dans le réemploi de vieux matériaux, des rebuts, etc.

Nous entrons ainsi dans une société dont les militants écologistes les plus radicaux n’auraient sans doute jamais osé rêver. Ce mouvement s’accompagne toutefois d’une « décroissance » qui n’est ni spontanée, ni ordonnée. Imposé par la force de la nature – même microscopique – ce changement de paradigme peut se limiter à un pas en arrière, accompagné de beaucoup de souffrance sociale, de pertes d’emplois et sûrement de troubles politiques. Il peut être également annonciateur de transformations profondes et salutaires, en tout cas pour le climat.

Défiance

La pandémie a suscité, en France en particulier mais aussi dans de nombreuses démocraties avancées, une accélération d’un phénomène déjà largement perceptible depuis la crise financière de 2008 : la défiance croissante des citoyens-consommateurs à l’égard de leurs élites politiques. Le phénomène n’est pas nouveau en France, comme le montraient les économistes libéraux Algan et Cahuc dès 2007[8].

La question de la défiance (ou du manque de son antonyme, la confiance) peut susciter au moins deux types d’analyse chez le juriste ou plus généralement, chez l’analyste des politiques publiques.

En premier lieu, la confiance est un ingrédient nécessaire au succès de toute politique publique, car elle facilite, notamment, l’acceptabilité de la règle et donc sa mise en œuvre plus complète, et finalement sa pleine effectivité [9].

Dans la crise du coronavirus en France, ce qu’on pourrait appeler « l’épisode des masques » aura été tragique pour la crédibilité du Gouvernement. Ses volte-face sur l’utilité du port du masque auront largement contribué à laminer la confiance de la population dans les décisions gouvernementales. Sans juger les causes de cette alternance des discours politiques, mais aussi des décisions administratives, il faut souligner que la volonté des pouvoirs publics de masquer, sans jeu de mots, la réalité des stocks de masques, en particulier disponibles pour les personnels soignants, aura nui à la transparence et à la cohérence du discours sur les décisions à prendre.

D’une part, des erreurs dans les modalités de la communication ont été commises car la gageure était de faire comprendre la complexité d’une situation – les masques sont nécessaires malgré leur pénurie. Or le défi que relèvent les démocraties est justement de faire comprendre et partager la complexité des situations par les citoyens [10], notamment par une communication du personnel politique cohérente, précise et véridique.

D’autre part, les juristes formulent également cette exigence de précision, de clarté et de cohérence à l’égard de la règle de droit, qui doit ainsi respecter le principe d’intelligibilité, qui constitue un objectif à valeur constitutionnelle. Ainsi, « le conseil constitutionnel admet cependant qu’une procédure puisse être complexe si les nouvelles règles sont énoncées de façon cohérente et précise, ainsi qu’il l’a précisé dans sa décision n° 2004-499 DC du 29 juillet 2004 relative à la loi sur l’informatique, les fichiers et les libertés, devenue la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 [11] ». Le principe d’intelligibilité est également un principe général du droit que doivent respecter tous les actes administratifs [12].

Force est de constater que, malgré parfois l’invocation de la cohérence de l’action publique par la jurisprudence, l’intelligibilité de la politique publique constitue non pas seulement une contrainte externe à respecter, mais un atout pour réussir à créer un climat de confiance qui conduit le peuple à suivre et accepter les choix des gouvernants.

En second lieu, et en sens inverse, l’intervention publique  peut susciter, voire produire de la confiance. Lorsqu’elle est prise dans son sens organique, comme l’intervention d’une autorité administrative indépendante à la fois étatique mais externe au Gouvernement, la régulation, c’est à dire le contrôle, voire la participation d’une telle autorité indépendante à la décision, peut contribuer à produire de la confiance. Il faut comprendre ainsi le souci, par exemple, de la CNIL, d’encadrer au plus près – mais sans l’interdire – le déploiement de l’application de suivi et d’information des « cas contacts » appelée « StopCovid ». En effet, dès lors que le Gouvernement ne peut « laisser de côté aucun outil permettant d’endiguer la maladie et de gérer au mieux la période de déconfinement… la Commission souligne que la conformité aux règles de protection des données à caractère personnel, et notamment la bonne information des personnes concernées, le respect de leurs droits et, plus généralement, des dispositions du RGPD (Règlement général sur la protection des données) et de la loi « Informatique et Libertés », est de nature à favoriser la confiance des utilisateurs de l’application et, par suite, l’effectivité du dispositif projeté »[13]. Position réitérée un peu plus tard à l’occasion de l’examen du décret créant effectivement cette application [14].

Le manque de succès initial rencontré par cette application a sans doute d’ailleurs tenu davantage à une communication gouvernementale quasiment confidentielle sur son existence, qu’à la défiance du grand public à son égard. En effet, avec le reconfinement, et la campagne intense de communication et d’incitation au téléchargement qui l’a accompagné, la déclinaison « TousAntiCovid » de l’application initiale s’est déployée rapidement parmi le grand public.

Négociation, concertation, consultation

La crise du coronavirus aura été une occasion supplémentaire de mettre en évidence la « dissonance cognitive » qui affecte, en France, les trois notions de « consultation », « concertation » et « négociation ». Dans l’esprit des bénéficiaires des politiques publiques, et donc ici, pour l’ensemble de la population, elles sont souvent confondues. Les interminables cohortes de groupes d’intérêts, de corporations et de mécontents – des libraires jusqu’aux élus marseillais en passant par les évêques et les directeurs de remontées mécaniques – qui se sont succédé dans les ministères, ont en effet trop souvent cru que les consultations auxquelles ils étaient invités constituaient de véritables négociations. Ils s’attendaient à sortir de Matignon ayant signé une sorte de contrat avec la puissance publique. Ils se sont retrouvés notifiés d’une décision administrative unilatérale insatisfaisante à leurs yeux.

En effet, les trois notions ne relèvent pas de la même dimension. On pourrait ainsi définir la concertation comme une discussion entre les parties intéressées, qui participe de la délibération, pour « améliorer la capacité collective à poser une question, à rendre un problème public et à le traiter » [15]. Elle s’inscrit donc dans le temps long et le projet est encore très peu défini.

La consultation relève également d’un dialogue entre les parties intéressées mais elle s’inscrit dans un temps plus court car elle porte sur un projet défini dont le contenu est connu a priori.

 La notion de négociation est mieux connue du grand public. Elle désigne également un mode de dialogue entre les parties sur un projet dont le contenu est connu a priori. Cependant, les différentes parties ajustent progressivement leur proposition pour arriver à un compromis. Celui-ci se traduit généralement par un contrat.

La distinction entre ces trois modes de dialogue est clairement résumée dans l’article L. 1 du Code du travail, issu de la loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social [16]. Celle-ci essayait de tirer les leçons du funeste épisode de la crise du « CPE » (contrat de première embauche). Les manifestations et oppositions avaient en effet conduit le Président J. Chirac à désavouer le Parlement en promulguant la loi qui le créait pour aussitôt s’engager à ne pas l’appliquer.

Pourtant tous les juristes, et par exemple en droit administratif les acteurs de la commande publique, le savent bien : le contrat issu de la négociation répartit les risques et partage les responsabilités. La négociation prend du temps et exige des égards envers l’autre partie. Cependant, au gré de la volonté commune des parties, le contrat peut évoluer dans son application, voire dans ses stipulations elles-mêmes. Il peut être résilié sans qu’il y ait faute –au sens juridique comme au sens moral du terme – pour tirer les conséquences d’aléas imprévus.

Au contraire, et même si la jurisprudence a tendu à brouiller les lignes de partage entre ces deux modes d’action publique [17], la décision administrative unilatérale est propice à des évolutions erratiques, par ajustements successifs. Son régime contentieux est celui de l’excès de pouvoir. Or, même si l’office du juge administratif a considérablement évolué au cours de ces quinze dernières années [18], le résultat du recours en excès de pouvoir est largement binaire : rejet- annulation, « pass or fail ».

Le reproche a alors souvent été fait aux autorités de l’État, dès le début de la pandémie, de privilégier l’exercice solitaire de la décision, que la réunion du conseil de défense personnifierait aux yeux de certains [19]. De même, un mode de gestion pyramidale a pris le pas sur les relations du couple Préfet-maire sur lequel devait justement s’appuyer la concertation au niveau local. Celle-ci s’est alors perdue dans une sorte de « verticale du pouvoir », comme le désignaient les soviétologues…

Cependant, si l’acte administratif unilatéral exprime une pratique hiérarchique de l’autorité publique, il a l’immense avantage d’être d’application rapide, voire immédiate [20]. Surtout, le choix des moyens juridiques en situation de crise est limité : la police administrative ne se délègue, ni ne se contractualise [21].

Pourtant, dans cet agencement très opérationnel et directif, une part de négociation est venue se glisser, imposée de façon originale. C’est le juge, par la voie du référé liberté, qui est venu par un moyen inédit, forcer le Gouvernement à mener de véritables négociations. En effet, plusieurs ordonnances du juge de référé du Conseil d’État, prises sur le fondement de l’article L. 522-1 du Code justice administrative, ont imposé au Gouvernement des délais successifs d’une telle brièveté pour modifier les décisions initiales qu’elles revenaient à imposer une concertation avec les parties concernées [22].

Police (administrative)

C’est sans doute un des termes que l’on a le moins entendu et qui est pourtant le plus présent dans la vie de nos concitoyens en pandémie. Non pas tellement la police au sens des « forces de police », qui sont en charge de faire respecter l’ordre public et sont ainsi dotées de pouvoirs de « police judiciaire » sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Non, la vie des français est rythmée, depuis le jour de l’entrée officielle en pandémie, par les mesures de police administrative qui se succèdent, se superposent et se contredisent parfois. Les deux polices se combinent d’ailleurs à travers ce qui aurait pu constituer à elle seule une entrée de ce glossaire : « l’attestation dérogatoire de déplacement », support individuel des dérogations aux mesures de police administrative qui doit être produite devant les officiers de police judiciaire que sont les agents de la police nationale et les gendarmes.

En premier lieu, parmi les deux grandes modalités juridiques de l’action publique, que sont le service public et la police administrative, il est significatif que cette dernière se soit imposée pour lutter contre la pandémie [23].

Très classiquement, le service public se définit comme la fourniture d’un service à la population, dans un but d’intérêt général, sous le contrôle de la puissance publique grâce à l’usage de prérogatives de puissance publique [24]. Si les services publics sont intensément mobilisés contre la pandémie, ils le sont sous la forme classique de services existants, comme le service public hospitalier ou l’Education nationale. Leurs modalités de fonctionnement ont certes évoluées [25]. Toutefois, il ne nous semble pas que la crise du Coronavirus ait donné lieu à la création de nouveaux services publics inédits. Ce parti de politique publique traduit sans doute une réticence des autorités publiques, nationales ou locales, à intervenir directement dans l’économie par la production de biens et services. Pourtant, la crise sanitaire, et la crise économique et sociale sans précédent qui s’y ajoute, justifieraient la prise en charge par la collectivité, de certains besoins des populations, au moins les plus fragiles – hébergement d’urgence, voire d’isolement en cas de positivité, distribution de subsistance, etc. Le service public y retrouverait l’un de ses fondements historiques, avec le « secours aux indigents » et le solidarisme du XIXème siècle. Il contribuerait également à l’amélioration de la santé publique, en déployant ce que les économistes désignent par « externalités positives ».

Au contraire, la police administrative constitue une activité de réglementation, assortie de sanctions, dans un but d’intérêt général. Il s’agit  d’encadrer l’activité des particuliers en vue d’assurer le maintien de l’ordre public [26]. Si l’on en reprend la définition classique qu’en donnait le code des communes à l’attention des maires, autorité de police administrative de droit commun au niveau local, le but de la police administrative est alors d’assurer « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » [27]. Le maire exerce le pouvoir de police administrative afin, notamment, de « prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux … de toute nature, tels que … les maladies épidémiques ou contagieuses… « [28].

En deuxième lieu, il faut noter la difficulté à combiner différents niveaux de police administrative, que ce soit institutionnellement, géographiquement et matériellement. En effet, l’autorité de police générale au niveau local est, dans le droit commun, celle du maire, comme le prescrit le code général des collectivités territoriales. Néanmoins, depuis l’arrêt du Conseil d’État, Labonne, du 8 août 1919, le Président de la République (aujourd’hui le Premier ministre, en vertu de l’article 21 de la Constitution) est titulaire, même sans texte, du pouvoir d’édicter les mesures de police administrative qui doivent s’appliquer sur l’ensemble du territoire. Enfin, du point de vue matériel, toutes les autorités de police (Premier ministre, ministre de la santé par délégation de celui-ci en vertu du code de la santé publique, préfets, maires) doivent combiner les mesures de police générale en matière d’ordre public avec les mesures de police sanitaire spéciale – qui résultent ici du régime très complet, restrictif et hiérarchique de l’état d’urgence sanitaire régi par l’article L.3131-12 du code de la santé publique, créé par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

La concurrence des polices spéciale et générale a connu un regain d’intensité avec la question des masques (voir plus haut les termes coudre (machine à )). Certains maires, afin de démontrer leur souci de la santé de leurs concitoyens ou pour affirmer leur opposition au Gouvernement, ont voulu imposer de façon générale le port du masque sur la voie publique alors que le Gouvernement, à l’époque, dénigrait et déconseillait fortement son usage en population générale.

La solution pour combiner, sinon harmonieusement, du moins avec cohérence, les deux polices concurrentes, était connue et solide, résultant de la formation la plus solennelle du Conseil d’État. Dans l’arrêt CE, Ass., 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, n° 326492, p. 529 , le juge administratif avait en effet tranché la « guerre des relais » en faveur de la police spéciale des télécommunications mobiles au détriment de la police générale du maire, qui entendait interdire les relais de téléphonie mobile au motif de protéger la santé publique [29]. On note que le Conseil confortait ainsi « les pouvoirs de police spéciale ainsi attribués aux autorités nationales, qui reposent sur un niveau d’expertise et peuvent être assortis de garanties indisponibles au plan local. » En application de la jurisprudence ancienne sur le concours des polices spéciales et générales [30], une telle suprématie de la police spéciale peut cependant céder devant des circonstances locales exceptionnelles, de péril ou de menace à l’ordre public, telles qu’elles justifient des dérogations locales.

Dans le contexte de la pandémie, le Conseil pouvait ainsi facilement confirmer l’annulation de l’arrêté du Maire de Sceaux [31] subordonnant « les déplacements dans l’espace public des personnes de plus de dix ans au port d’un dispositif de protection buccal et nasal ». Pourtant, le juge des référés va ajouter, par une motivation surabondante, une contrainte supplémentaire aux possibilités de dérogations locales à la police spéciale de niveau national : « ne pas compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’Etat » (point 6). Cette motivation peut laisse songeur, compte tenu, justement, du manque de cohérence, source d’inefficacité, de la politique de l’Etat en matière d’usage et de commandes de masques lors de la première vague de l’épidémie, et tandis que d’autres ordonnances de référé du Conseil d’État prenaient acte de la fourniture de masques à certaines professions – ou enjoignaient au Gouvernement de le faire [32].

En troisième lieu, le régime juridique de la police administrative soulève de redoutables difficultés d’application dans le contexte actuel. Ainsi, de jurisprudence constante depuis l’arrêt du Conseil d’État Benjamin du 19 mai 1933, les mesures de police administrative doivent-elles être nécessaires et proportionnées afin de se concilier avec les libertés ou droits fondamentaux. Néanmoins, la balance entre des objectifs et des droits fondamentaux qui sont en conflit est d’autant plus difficile à opérer que les données sur le phénomène à réguler sont insuffisantes, et donc la prospective sur son évolution aléatoire [33]. On pourrait même se demander si cette jurisprudence, et donc l’équilibre qu’elle impose, sont opérants lorsque se déroule une lutte collective et prioritaire, contre un fléau qui met en jeu, selon la formule relative aux opérateurs d’importance vitale mentionnés à l’article L.1332-1 du code de la défense, « la sécurité ou la capacité de survie de la nation » ou « qui présente un danger grave pour la santé de la population ». La pertinence, voir la possibilité même, de la conciliation juridique entre les obligations prophylactiques et les droits et libertés peut se heurter à la raison (voir ce terme plus bas) scientifique. Il est difficile de maintenir les proportions lorsque l’on saute dans l’inconnu…

Reste à trouver un régime alternatif qui permette de maintenir l’État de droit en empêchant tout arbitraire de se développer à l’occasion de la lutte contre ce fléau. En tout état de cause, le recours à des mesures de police sanitaires exceptionnelles pourrait-il être au moins subordonné à des paramètres épidémiologiques objectifs, faisant l’objet d’un consensus scientifique et identifiés par la loi, réduisant ainsi le pouvoir discrétionnaire de l’Exécutif. Cela aurait permis une certaine prévisibilité aux décisions de police administrative lors des différentes phases et modalités de mises en œuvre de l’état d’urgence sanitaire. Ainsi seraient également identifiées les bornes de l’état d’urgence alors que l’histoire récente nous montre qu’il n’est pas facile politiquement à un Gouvernement de déclarer officiellement le retour à l’état normal.

Raison

Ce terme est sans doute celui que l’on a plus subi et dont on a pourtant le plus manqué en cette période de pandémie.

En effet, le pays, et le monde entier, ont subi de plein fouet l’effet de la contagion. Or, en début de pandémie, celle-ci se développe dans une population donnée selon ce que les mathématiciens appellent « une progression géométrique » ou « suite géométrique » de « raison r » [34]. Dans la pandémie actuelle, la raison de l’évolution du nombre de cas positifs est « r ou taux de reproduction effectif ». Si r >1,5, alors cela signifie qu’il y a plus de cas positifs qui contaminent au moins 2 personnes, que de cas positifs qui n’en contaminent qu’une : la diffusion du virus s’accélère, ce que le grand public désigne par une « accélération exponentielle ». Naturellement, les modèles de dynamique épidémiologique sont fondés sur des hypothèses, portant en particulier sur le nombre « r ». Et l’augmentation exponentielle du phénomène doit être rapportée à sa vitesse : un doublement des cas en dix mois ne présente pas les mêmes effets qu’un doublement en dix jours…

La valeur de r dépend du nombre d’interactions sociales entre les individus, estimé au moyen de ce que de nombreuses sciences (dont l’économie) désignent par « modèles d’agents » (agent-based models) [35] . Or ce qui marque notre époque de « globalisation » est justement la multiplication des contacts entre individus, entre agents économiques, entre nations, au travers de multiples réseaux (voir ce terme plus bas). Il s’en déduit que, dans la phase de diffusion de l’épidémie, et quelle que soit l’envie ou la force de persuasion contraire, « on ne négocie pas avec un virus » [36]. En termes de politique publique ou de gestion administrative, les pouvoirs publics ne peuvent donc guère « arbitrer » entre les différents intérêts en cause et ne peuvent jouer contre la montre [37].

Cependant, la compréhension de la relation exponentielle est difficile. Des études ont ainsi démontré que la population souffre d’un biais cognitif, qui la fait l’assimiler à une relation proportionnelle [38] et donc sous-estimer l’effet d’une croissance exponentielle. Ceci explique peut-être en partie pourquoi, dans cette période tourmentée, certains ont paru perdre toute rationalité, et notamment remettre en cause, non pas tellement les résultats de la science, mais la méthode scientifique. L’autre sens du terme « raison » a pu alors sembler faire défaut dans le pays de Descartes.

Réseau

A cette notion doivent sans doute être rattachés, tout à la fois, l’origine et l’impact de l’actuelle pandémie. Celle-ci remet en effet en cause les facteurs mêmes qui ont contribué à la prospérité des sociétés avancées au tournant des XXème et du XXIème siècles : le déploiement des effets de réseau. En même temps, ce sont ces mêmes effets qui ont provoqué le caractère mondial de l’épidémie. Celle-ci nous impose alors de reconsidérer, parfois dans des conditions d’urgence dramatique, les effets de réseau sur lesquels nous étions habitués à fonder notre mode de vie.

Reprenons le raisonnement à l’origine. L’économie industrielle identifie plusieurs effets positifs des réseaux – ou « externalités positives » – lorsque l’utilité d’un bien pour un agent dépend du nombre de ses utilisateurs. Plus nombreux sont les membres du réseau, plus les participants en retirent des avantages. Du côté des producteurs du bien qui s’échange sur ce réseau, se développent notamment des économies d’échelle ou d’envergure [39]. Du côté des consommateurs ou des usagers du réseau, se développent des phénomènes d’agrégation : autour des infrastructures de transport, dans un bassin d’emploi, etc. Ces effets facilitent la division du travail, entre producteurs, entre travailleurs mais aussi géographiquement entre régions.

Ces mécanismes ont particulièrement été à l’œuvre dans le mouvement de « globalization » qui s’est déployé à partir des années 1990. Pour notre part, nous analysons celle-ci comme le produit de l’interaction de cinq composantes, ou cinq « ères », qui se sont développées de façon réflexive dans cette période [40]. Ces phénomènes ont entraîné les formidables gains de productivité et l’élévation sans précédent du niveau global de richesse. Ils ont notamment permis de réduire, sinon le nombre en valeur absolue de pauvres, du moins leur proportion.

Cependant toutes ces évolutions reposent sur l’accroissement des mouvements, et particulièrement des interactions humaines. Du point de vue sanitaire, l’OMS s’en était d’ailleurs inquiétée dès 2005, en faisant réviser, à la suite de l’épidémie du SARS de 2003, son « Règlement sanitaire international » qui datait de 1969 [41]. Aux réseaux économique de la « globalization », l’OMS ajoute alors un réseau d’alerte et de réponse, dans lequel les « points d’entrée » (ports et aéroports internationaux) et les opérateurs de transport sont soumis à des obligations spéciales.

Sans revenir sur la chronologie des événements, détaillée par ailleurs par Frédéric Marty dans ce même ouvrage, le fonctionnement des sociétés globalisées est à l’origine de la transformation rapide d’une épidémie chinoise en une pandémie mondiale. La dimension « réticulaire » de nos sociétés induit nécessairement un nombre d’interactions humaines élevé qui détermine alors la valeur du « r ou taux de reproduction effectif » des modèles épidémiologiques (voir plus haut le terme raison). L’antidote s’est alors imposée avec évidence : il fallait revenir au modèle de vie en société le plus antagonique de la globalisation, par le confinement de la population mondiale, recroquevillée sur la cellule sociale primaire, à savoir la famille.

Les différents vagues de l’épidémie – et les différentes mesures successives de police administrative (voir ce terme plus haut) qui les ont accompagnées – ont d’ailleurs démontré combien cette structuration en réseau était à la fois profondément ancrée dans nos mœurs tout en constituant la fragilité de nos sociétés. Ce n’est pas une coïncidence si des protocoles sanitaires draconiens ont été instaurés dans les réseaux de transports en commun, sans lesquels la vie dans les concentrations urbaines est impossible. Les premières mesures de couvre-feu, à l’automne, ont d’ailleurs été édictées dans les grands centre urbains, jusqu’à s’étendre à partir du 14 octobre 2020 à toute l’Île-de-France et huit parmi les plus grandes Métropoles. Les effets de réseaux se sont retournés contre les sociétés avancées, déployant leurs externalités sanitaires négatives dramatiques au lieu de leurs bienfaits économiques.

Cette pandémie, si le virus venait à résister à la vaccination, ou une suivante, soulèvent alors la redoutable question d’identifier les éléments de notre mode de vie qui vont devoir être modifiés pour éviter les contagions de masse. Puisqu’il n’est pas possible de « négocier » avec le virus ou « d’arbitrer » entre les mesures de prévention, les facteurs de concentration humaine, d’interaction et de circulation sans limite des biens et des personnes, devront sans doute être soigneusement évalués à l’aune des impératifs sanitaires et de sécurité d’approvisionnement. Les chantiers pour adapter nos sociétés développées s’annoncent donc considérables.

Comme le préfiguraient les mesures de couvre-feu, peut-être les métropoles sont-elles condamnées à terme. Toutefois, d’une façon positive, cette démarche incite-t-elle également à une certaine humilité devant les tentations de gigantisme et de « bougisme » [42] de nos actuelles sociétés. Alors pourra sans doute s’organiser un retour à des communautés centrées sur la « personne humaine », pour reprendre les termes du philosophe Emmanuel Mounier, fondateur de la Revue Esprit, plutôt que sur le développement anarchique de réseaux d’individus.

Tricoter (aiguilles à…)

De la même façon que la machine à coudre est devenue l’application disruptive du premier confinement, il est fort probable que les aiguilles à tricoter deviennent la technologie d’avenir de vagues suivantes. En effet, depuis que le consensus scientifique s’est fixé sur une transmission du virus par aérosol, et non plus seulement par gouttelettes, aérer régulièrement s’est imposé parmi les principales recommandations.

Les aiguilles à tricoter constituent sans doute le symbole de cette grande frustration qui habite la société française en cette fin d’année 2020 et de deuxième confinement : d’un côté, elle aspire à se placer sous l’autorité tutélaire et protectrice de l’État et, de l’autre, elle découvre rageusement que celui-ci, comme tout le monde, est faillible.

[1]              Selon le praticien et spécialiste de l’intelligence économique Philippe Cahen, « un signal faible est un fait, un événement qui peut paraître paradoxal et qui inspire réflexion… pour imaginer le possible comme l’impossible, regarder vers le futur tout en recherchant les causes, pour les comprendre, et découvrir l’essence de l’événement » (P. Cahen, Signaux faibles mode d’emploi – Déceler les tendances, Anticiper les ruptures, Paris, Eyrolles Les éditions d’organisation, 2010).

[2]              À cet égard, le lecteur savant sera sans doute déçu de la profusion de références issues de l’Internet, mais que nous avons néanmoins tirées de sources qui nous semblent de qualité. En effet, l’un des tendances qui se dégagent de la période actuelle est sans doute la puissance d’Internet et des réseaux sociaux pour tout à la fois, diffuser instantanément les pires rumeurs et désinformations, mais aussi faire partager le meilleur de la vulgarisation scientifique et de l’analyse des politiques publiques, pour peu que l’on réussisse à identifier les sources sûres.

[3]              L. Folliot-Lalliot, « La concurrence entre les États sur l’achat de matériel médical et sanitaire aggrave le problème », Le Monde, 30 mars 2020 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/30/la-concurrence-entre-etats-dans-les-chaines-d-approvisionnement-public-aggrave-la-crise-sanitaire_6034848_3232.html

[4]              http://www.academie-medecine.fr/communique-de-lacademie- pandemie-de-covid-19-mesures-barrières-renforces-pendant-le-confinement-et-en-phase-de-sortie-de-confinement/

[5]              AFNOR, Masques barrières – Guide d’exigences minimales, de méthodes d’essais, de confection et d’usage, SPEC S76-001, 27 mars 2020, disponible sur www.afnor.org.

[6]              Rappel tiré de Anne Penneau, « La sécurité juridique à travers le processus de normalisation », vol. 9, numéro 2, Été 2004, https://www.lex-electronica.org/articles/vol9/num2/la-securite-juridique-a-travers-le-processus-de-normalisation/

[7]              À fin octobre 2020, la CNUCED prévoyait un ralentissement de l’ordre de 7 à 9 % sur l’année 2020, mais après un effondrement au deuxième semestre de 19 % (https://news.un.org/fr/story/2020/10/1080402).

[8]              Y. Algan et P. Cahuc, La société de défiance – Comment le modèle social français s’autodétruit, Paris, Ed Rue d’Ulm, 2007

[9]              Voir par exemple, citant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU : A. Flückiger, (Re)faire la loi – Traité de légistique à l’ère du droit souple, Berne, Stämpfli Editions, 2019, p. 611.

[10]             Voir à cet égard, S. Fouks, Pandémie médiatique (Paris, Plon, octobre 2020, 178 p.) et ses recensions par É. Gernelle, Le Point, 8 oct., 2020 ou par V. Richebois, « Covid-19 : repenser son logiciel de communication », Les Echos, 9 oct. 2020.

[11]             Conseil d’État, Sécurité juridique et complexité du droit, Étude annuelle, Paris, La Documentation française, 2006, p. 287-289.

[12]             Conseil d’État, Ass., 24 mars 2006, Sté KPMG et autres, n° 288460, Lebon, p. 154.

[13]             CNIL, délibération n° 2020-046 du 24 avril 2020 portant avis sur un projet d’application mobile dénommée « StopCovid ».

[14]             CNIL, délibération n° 2020-056 du 25 mai 2020 portant avis sur un projet de décret relatif à l’application mobile dénommée « StopCovid ».

[15]             Y. Chassard, Mimeo, France Stratégie, 2007. On remarquera que nous nous écartons des définitions du Conseil d’État dans : « Consulter autrement, participer effectivement », Rapport annuel 2011, Paris, La Documentation française, 2011, 226 p. Significativement, celui-ci inclut en effet l’ensemble de ces modalités de dialogue dans la notion de « consultation », jusqu’à et y compris la simple information du public.

[16]             Article L. 1 (rédaction en vigueur au 1er déc. 2020) : « Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation.

À cet effet, le Gouvernement leur communique un document d’orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options.

Lorsqu’elles font connaître leur intention d’engager une telle négociation, les organisations indiquent également au Gouvernement le délai qu’elles estiment nécessaire pour conduire la négociation.

Le présent article n’est pas applicable en cas d’urgence. Lorsque le Gouvernement décide de mettre en œuvre un projet de réforme en l’absence de procédure de concertation, il fait connaître cette décision aux organisations mentionnées au premier alinéa en la motivant dans un document qu’il transmet à ces organisations avant de prendre toute mesure nécessitée par l’urgence. »

[17]             Voir pour une comparaison, B. du Marais, Droit public de la régulation économique, Paris, 2004, Presses de Sciences-po et Dalloz, chapitre 13 « Les modalités non contractuelles de fourniture des services publics ».

[18]             Notamment avec le pouvoir de modulation dans le temps et d’injonction.

[19]             Dont la présidence par le Président de la République est mentionnée à l’article 15 de la Constitution. Le « conseil de défense et de sécurité nationale » est régi par les articles R*1122-1 et suivants du Code de la défense et est compétent pour définir « les orientations en matière (…) de planification des réponses aux crises majeures (…) ».

[20]             Les différents décrets instaurant les régimes de confinement, au visa de l’article 1er du Code civil, sont d’application immédiate ou présentent des conditions d’entrée en vigueur dérogatoire au droit commun.

[21]             Depuis le très ancien arrêt CE, Ass., 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary, Lebon, p. 595.

[22]             Voir les différentes décisions rendues en matière d’ouverture des cultes et particulièrement la mention de la « concertation requise avec les représentants des principaux cultes » : CE, Ord. référé, 18 mai 2020, F. et autres, n° 440366.

[23]             Pour cette distinction dans le droit public économique, on se permet de renvoyer aux chapitres 3 et 13 de notre Droit public de la régulation économique, Paris, Sciences-Po et Dalloz, 2004.

[24]             La dernière condition n’est plus nécessaire mais seulement suffisante depuis l’arrêt CE, Sect, 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés APREI, n°264541, Recueil Lebon, p. 92.

[25]             A travers, par exemple, le recours intensif aux technologies numériques pour l’identification et le traçage des cas positifs et contacts, comme l’application « StopCovid » (voir le terme Défiance) et surtout les systèmes d’informations « SI-DEP » et « Contact Covid » créés par le décret n° 2020-551 du 12 mai 2020 relatif aux systèmes d’information mentionnés à l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions ou, à l’autre côté du spectre technologique, par des distributions de masques à certaines professions ou publics fragiles volontaires.

[26]             Cf. par exemple, la définition classique de : A. de Laubadère, J-C. Venezia et Y. Gaudemet, Traité de droit administratif, Tome I, n°1079 et suivants, Paris, LGDJ, 1990, 866 p. Voir également, Didier Truchet, Droit administratif, 7ème édition, Paris, PUF, 2017, n°977s.

[27]             Pour reprendre l’ancien article L 131-2 du code des communes, codifié à l’article L.2112-2 du code général des collectivités territoriales.

[28]             Aux termes du 5° du même article L.2112-2 du code général des collectivités territoriales.

[29]             Cf. Bertrand du Marais, « Le Conseil d’État donne toute son effectivité à la régulation sectorielle par rapport à la police administrative générale », Concurrences, 2012-1, p. 224-226.

[30]             CE, 18 déc. 1959, Société Les films Lutetia et Syndicat français des producteurs et exportateurs de films, Recueil Lebon, p. 693, GAJA, 18e éd., 2011, n° 76.

[31]             CE, Ord. référé, 17 avril 2020, Commune de Sceaux, n° 440057, à publier aux Tables du Rec. Lebon. Voir notamment Bertrand Faure, « Etat d’urgence sanitaire et pouvoir municipal », AJDA, 2020 p.1013.

[32]             Pour les personnels pénitentiaires : CE, Ord. référé, 8 avril 2020, Syndicat national pénitentiaire FO, n°439821 ou, pour les avocats : CE, Ord. référé, 20 avril 2020, Ordre des avocats au Barreau de Marseille, Ordre des avocats au Barreau de Paris, n° 439983, 440008.

[33]             Maria De Benedetto, “Regulating in Times of Tragic Choices”, The Regulatory Review, May 6, 2020, (https://www.theregreview.org/2020/05/06/de-benedetto-regulating-times-tragic-choices/ )

[34]             Une série géométrique est la somme des termes d’une suite géométrique, dont chacun se déduit du précédent. Ainsi, soit Ni le nombre total de personnes contaminées par les personnes positives (Covid +) à l’instant i, r le nombre de personnes contaminées en moyenne par une personne Covid+, également appelé « raison » de la suite ou ici, « r taux de reproduction effectif ». Au temps t1 : N1=rN0 ; en t2 : N2=rN1= r 2 N0. etc. En ti :  Ni= rN(i-1) = ri N0.  On obtient ainsi une croissance exponentielle de base N. La série géométrique qui marque la somme de ces termes, si r>1, est rapidement divergente.

[35]             On conseille au lecteur de consulter les passionnants « billets » de vulgarisation de l’économiste et actuaire Christian Walter, notamment : Et mêmement l’exponentielle, 14 novembre 2020 ; https://epistemofinance.hypotheses.org/4667#content

[36]             C. Lehmann, « Eh oui… On ne négocie pas avec un virus. », Libération, 27 octobre 2020.

[37]             Ce que Christian Walter résume joliment en reprenant les termes de l’album de Peyo, Les Schtroumpfs noirs (Paris, Ed. Dupuis, 1963), infectés par la mouche « Bzz » : « Plus il y a de schtroumpfs noirs et plus il y en aura ! Il s’agit bien d’une course de vitesse engagée par le village schtroumpf sous l’égide du Grand Schtroumpf, avec un double objectif, empêcher la trop forte croissance du compartiment « I » [infectés] des schtroumpfs noirs (on peut imaginer que le nombre de lits d’hôpitaux schtroumpfs est limité), le temps de procéder à la recherche du remède qui stoppera l’épidémie. Il faut donc impérativement connaître les règles de changements entre états : comment passe-t-on de S [sains] à I etc. » (C. Walter, Les schtroumpfs noirs, 29 novembre 2020, https://epistemofinance.hypotheses.org/4711#content ).

[38]             Etienne Meyer-Vacherand, « Covid-19 : comprendre la croissance exponentielle d’une pandémie, un défi cognitif pour la population », Le Monde, 8 juillet 2020.

[39]             . Dans le premier cas, qui n’est cependant pas propre aux réseaux, le fait de mettre en réseaux plusieurs agents, par exemple des consommateurs, va permettre au même producteur d’en servir davantage et d’augmenter ses profits[39]. Dans le second cas, l’économie d’envergure va se développer lorsqu’il va être plus rentable à un producteur de produire plusieurs biens (« productions jointes ») qu’a plusieurs producteurs de produire chacun un de ces biens.

[40]             Pour plus de rapidité, on se permet de renvoyer à : Bertrand du Marais, « Le « Grand Évitement » et le droit administratif », in J-B AUBY (dir.) Le futur du droit administratif – the Future of administrative Law, Paris, Lexis Nexis, 2019, p. 527-547 et à : “Training Lawyers for a Globalized World in Economic Crisis”, Journal of Legal Education, vol. 61, n°3, February 2012, p. 455-467 qui identifient les cinq « ères » suivantes: « du mouvement », « du progrès scientifique exponentiel », « du marché unique global », « de la dérivée seconde » et de la « commoditization ».

[41]             OMS, Règlement sanitaires international (2005), 2ème édition:

https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/43982/9789242580419_fre.pdf;jsessionid=DA80A55D2D4A24510FA0C2E305BEEA4D?sequence=1

Voir la présentation des mesures d’application nationale sur : https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/securite-sanitaire/article/le-reglement-sanitaire-international-rsi

[42]             Au sens de Pierre-André Taguieff, Résister au bougisme, Paris, Ed Mille et une nuits, 2001.